Brûlez-le si vous le voulez [privé]

— Alentours des 17h.

Les cours s'étaient terminés un peu plus tôt, à la Miracles Academia. Quelques rares professeurs restaient sur place pour bavasser ou s'occuper de la paperasse, tandis que d'autres préféraient rentrer directement chez eux. C'était le cas du professeur de musique, ne préférant pas rester sous ce soleil cuisant plus longtemps. Sa capuche, ses gants en cuirs et son trench-coat noir le rendait certes assez élégant avec un petit côté mystérieux, mais avec une chaleur pareille, ce n'était pas spécialement très agréable. Mais peu importe, c'était une question de vie ou mort, plus ou moins.

Atteignant le centre-ville sans trop de mal, il commença à se perdre dans ses pensées, innocemment, chantonnant doucement du Chopin. Il se dirigeait, comme chaque semaine en fin de journée, vers la rue où demeurait toutes les habitations, bien que la sienne fut un peu plus éloignée que les autres. Mais marcher ne le dérangeait pas, au contraire. Même avec sa faiblesse et fatigue physique, rester cloîtré chez lui était tellement déprimant. Aucune compagnie, aucun bruit, même pas un mulot ou un rat dans les murs, un craquement de bois, rien que ses mains, son piano et son violon pour stimuler son esprit. Comme si même les animaux redoutait sa présence, dû à sa condition qu'il n'a jamais voulu et qui lui a littéralement pourri l'existence, depuis le jour où ses dents sont devenues pointues.

Cependant, il sentit quelque chose se frotter à sa jambe, quelque chose de petit, non très désagréable. Baissant légèrement la tête, il remarqua qu'un petit chat noir avait visiblement besoin d'un peu de tendresse. Attendri, il s'abaissa, et profita le fait d'être sous un arbre pour enlever sa capuche, caressant avec sympathie le petit félin à la fourrure sombre mais scintillante. Malheureusement pour lui, des sales gosses du quartier passant par ici reconnurent immédiatement son visage. Les "personnes comme lui" étaient assez populaires, en ville ; et pas spécialement très appréciée. Encore moins de cette bande. S'approchant de lui, Vincent sentit une ombre se poser sur lui. Tournant son regard vers la droite, il était face à des individus le fixant avec un regard profondément haineux et sadique.

L'un frappant à mort le petit félin avec une batte de baseball cloutée (j'vous jure c'est pas Scooter), sous les yeux de Vincent, horrifié et tétanisé. Les mains tremblantes, c'était maintenant à son tour d'en baver à mort. Éclatant son visage contre le sol, piétinant son dos déjà rachitique, lui tirant les cheveux, frappant ses côtes et arrachant son manteau, il n'y avait rien qu'il puisse faire pour se sortir de là, se contentant alors d'observer le cadavre du chat tout près de sa tête, son nez en sang, ses yeux embués de larmes.

Quelle chaleur pesante, en effet. C'est pourquoi Crystal quitta l'académie à l'heure ce jour-là au lieu de rester comme elle en avait souvent l'habitude. Secouant sans cesse son long et large t-shirt jaune pâle avec ses mains pour tenter de se rafraichir et s'abaissant à chaque minute pour remonter ses knee socks blanches qui tombaient à cause de la sueur, elle arpentait les rues de la ville pour rentrer chez elle.

Crystal: Quelle chaleur ... j'ai bien fait de faire mes chignons ce matin. J'aurais eu la nuque et le dos trempés si j'avais laissé mes cheveux détachés ...

Elle commençait un peu à fatiguer d'ailleurs. Elle adorait l'été, mais ayant eu une journée assez mouvementée et chargée aujourd'hui, la chaleur faisait partie des facteurs de sa fatigue. Elle passait souvent sa main sur son front, relevant un peu sa frange assez dense. Ses pas étaient lourds, bien que déjà assez lourds de base en raison de la taille de ses baskets plateformes, mais elle avait la chance d'avoir un corps très petit, fin et athlétique. Plus qu'une dizaine de minutes et elle était à la maison.

Le soleil couchant dans le ciel était toujours une vue magnifique. Elle qui était très émotive, elle ne pouvait pas se lasser de voir ce genre de paysage. Même si ça la rendait triste que le soleil disparaisse en fin de journée. Heureusement, elle était quelqu'un qui adorait les deux: le jour, comme la nuit, à part égale.

Soudain, l'ahoge de Crystal se dressa puis se figea. Elle avait senti quelque chose, quelque chose qui plus est n'était pas si loin d'elle. Elle jugeait la présence qu'elle avait sentie (ou plutôt les) à environ une minute de marche. Elle ne savait pas quoi faire. Mais son instinct lui dit clairement d'aller voir. Fronçant les sourcils d'un air sérieux et alerté, elle s'aventura dans les rues de Heaven Lake d'un pas rapide et déterminé.

« Les danger publics comme toi n'ont rien à faire dans cette ville »
« Ils auraient dû te brûler quand ils en avaient l'occasion »
« Ton gosse a bien fait de ne jamais naître, on lui aurait éclaté le crâne »

Les coups n'étaient pas ce qu'il y avait de plus douloureux, pour Vincent. C'était les paroles de ses agresseurs. Visiblement, ils en savaient un peu plus sur son passé qu'ils ne le devraient. Un passé qui le fait terriblement souffrir, par ailleurs. Mais des côtes cassées et un visage ensanglanté gorgé de larmes n'était pas suffisant pour eux, loin de là. Ce n'est pas un blessé qu'il voulait, c'était une élimination. Une élimination définitive de ceux qu'ils considéraient comme des vermines.

Arrachant ses gants en cuirs et sa veste, il déchirèrent les manches de sa chemise blanche, dévoilant ses bras étonnement pâles, comme ceux d'un mort.

« Allez mon gars, tu vas voir ce que ça fait de prendre un peu le soleil ! » lancèrent-ils en riant, avant de tirer son bras hors de l'ombre de l'arbre et des bâtiments. Le soleil éclatant rayonna sur le bras et le visage de Vincent, celui-ci hurlant de douleur tandis que sa peau se carbonisa petit à petit, sous les éclats de rire de la bande. Lui tirant la paupière, son œil également commença à cramer.

« Il faut l'empêcher de commettre de nouveaux crimes. »

Lui tirant la tête en arrière, l'un enfonça deux doigts dans sa bouche pour l'ouvrir de force. C'est alors qu'une lame tranchante passa juste en dessous de ses dents pointues, bien décidée à les "corriger" d'une manière ou d'une autre. Tremblant et pétrifié, Vincent n'osait même plus sortir le moindre bruit, bien que son bras était toujours exposée au soleil brûlant.

Commençant à ressentir les présences de plus en plus proches, la jeune fille ne se découragea pas et continua de marcher, voir même de courir. Mais cela donnait chaud de courir, surtout avec un sac à l'épaule. Enfin, ce n'était pas ça le plus important actuellement. Après une multitude de chemins coupés et de rue prises, Crystal trouva enfin le lieu du drame. S'arrêtant en posant ses mains sur ses genoux, essoufflée et un peu penchée en avant, elle releva la tête un bref instant après et vit quelque chose d'horrible. Elle avait bien fait de considérer ce qu'elle avait senti. C'était une vision d'horreur. La vue du pauvre félin mort au sol ainsi que de Vincent qui se faisait terriblement agresser la mis en rogne, même si elle ne connaissait pas cet homme. Mais il lui disait vaguement quelque chose, tout de même. Elle vit rouge et lâcha son sac à terre pour léviter et foncer à une vitesse inimaginable sur celui qui avait dégainé la lame aiguisée. Elle se jeta sur l'individu et tomba avec lui plus loin, le plaquant au sol et s'assurant qu'il ne puisse pas se relever. Ses chignons se détruisirent avec la violence de l'action et ses cheveux se retrouvèrent complètement détachés, volant encore au vent après ça. Elle avait un ton et un regard terrifiants, plus aucune lueur n'était présente dans ses yeux.

Crystal: Je peux savoir ce que vous étiez en train de faire ? D'abord le chat ... et ensuite ? Ça allait être au tour de cet homme ?

L'albinos tendit son bras derrière elle tout en ne bougeant pas d'un pouce sa tête ni son regard vers celui qu'elle maintenait au sol. Elle fit apparaitre des amas de petites étoiles tranchantes de façon à ce qu'elles forment des sortes d'anneaux flottants autour des assaillants, comme des chaînes. Si l'un d'eux faisait un faux mouvement, ça allait saigner.

Crystal: Dit moi ... tu trouves ça marrant sale fils de pute ?

Au moment où Vincent pensait que ce serait la fin pour lui, définitivement, il acceptait à moitié son sort, la mort ne le dérangeant point mais n'appréciant pas spécialement la brutalité et la douleur de l'opération. Téma mon euphémisme. Mais il fut tout aussi surpris et confus que ses agresseurs lorsque sa collègue surgit violemment, dans l'unique but de le défendre. Non, plutôt de lui sauver carrément la "vie". Mais dans un état aussi déplorable, il n'arrivait pas totalement à réaliser ce qu'il se passait, se contentant dans ses derniers efforts de tirer son bras hors de la lumière.

La bande ne bougeait pas d'un poil, regardant les pointes magiques autour d'eux qui semblaient plus que dangereuses et potentiellement susceptible au moindre grattement de nez. Ils regardaient Crystal avec rage, frustrés de ne pas pouvoir finir leur "mission".

Quant à celui qu'elle avait plaqué au sol, il prit un regard fort colérique, encore plus que sa bande. Il avait la peau bleutée, les oreilles pointues et la sclère de ses yeux était sombre. En fait, la plupart des assaillants avaient l'air d'être des elfes, étrangement. Enfin, ce n'était un secret à personne que ceux-ci avaient une haine particulière envers les vampires.

Il regarda Crystal dans les yeux, avec haine, et lui cria ;

Elfe: SALETÉE DE GAMINE, ÇA TE REGARDE PAS ! tout en lui postillonnant sur le visage. Regarde-le, dit-il en montrant Vincent du doigt et en tournant son regard vers lui, C'EST UN VAMPIRE ! IL TUE DES INNOCENTS ET LEUR VOLE LEUR SANG ! C'EST EUX QUI RENDENT LA VILLE AUSSI DANGEREUSE ! Il tourna de nouveau son regard vers Crystal et la fixa dans les yeux. Tu changeras de camp une fois qu'il aura mangé des bambins.

Assaillant #1: Et un chat *noir* près d'un vampire ? Ça porte malheur. Comme ces putains de sorcières et sorciers occultes. S'écria un des type à l'arrière.

La jeune fille était dans une colère noire. Elle tenta tant bien que mal de contrôler son sang-froid mais également de maintenir l'elfe au sol. Les nerfs de ses paupières inférieures tremblaient à intervalle irrégulier et elle fixa d'un regard méprisant celui qu'elle maintenait à terre. Les postillons la dégoutaient au plus haut point.

Crystal: N'ose même plus me cracher au visage, pauvre type. Tu vas me rendre malade. Si tu savais à quel point un petit elfe comme toi ne me fait pas peur. J'ai plus du centuple de ton âge, j'ai vu bien plus d'atrocités que toi dans ma vie. Et cet homme n'en est certainement pas une. En fait, c'est des gars comme vous qui ruinez la ville.

Elle resserra le cercle d'étoiles tranchantes qui était autour de celui qui l'avait ouverte. Sans se retourner, elle ajouta:

Crystal: Les chats noirs sont comme les chats blancs. Les chats roux. Les chats gris. T'as vu ça ? C'est comme avec les personnes. Mais bon, vous me semblez bien discriminatoires dans tous les cas. J'espère en tout cas que ça t'as pas porté malheur quand le miroir dans lequel tu t'es sûrement regardé ce matin s'est brisé en voyant ta gueule. Sache que si tu veux justement pas te retrouver comme ce pauvre chat que vous avez buté sans aucune raison, tu ferais mieux de la fermer.

Crystal s'assura tout de même du coin de l'œil que Vincent ne se refaisait pas attaquer, et agirait au moindre mouvement de la part des agresseurs.

Crystal était certes aux aguets, mais elle n'avait pas à l'être. Cette bande de lâche ne comptait pas tenter la moindre action, menacés comme ils l'étaient. Elle avait l'air de bien maîtriser ces piques, et se faire transpercer de part en part, ce n'était pas à leur goût. Mais peut-être que leur "chef" allait finir par les sortir de tout ça ? Bien que sa posture n'était pas avantageuse. Un de ses membres tenta alors de prendre sa défense.

Assaillant #2: On s'en fout, qu'ils soient d'une race différente ou d'une couleur de peau différente ! C'est pas ça le problème. T'as pas noté que y'avais de plus en plus de disparitions, dans le coin ?!

Un autre pris soudainement la parole, encouragé.

Assaillants #3: Et la police est trop occupée avec les haut criminels, il reste plus personne pour s'occuper des vermines comme lui ! Faut bien que quelqu'un fasse quelque chose !

Regardant les autres prendre sa défense, le chef retourna ensuite sa tête vers Crystal en la regardant bien dans les yeux. Son regard était assez terrifiant, comme s'il savait exactement de quoi il parlait, qu'il était persuadé de connaître la vérité.

Elfe: Pas plus tard qu'hier, on a r'trouvé un cadavre dans une ruelle, pas loin. Et tu sais quoi ? Il avait plus une goutte de sang dans le corps. Tu crois toujours à leur innocence ? Des gens meurent et disparaissent. Le ton de sa voix commençait à se faire plus erratique et tremblante, comme un fou commençant à sombrer dans une psychose. Et cette foutue météo à la con qui créer des catastrophes ?! Les accidents ?! Les Senshi qui commencent à paniquer et à admettre à demi-mots qu'ils ont plus le contrôle de rien ?! PLUS RIEN NE TOURNE ROND, DANS CETTE PUTAIN DE VILLE ! Il commençait à paniquer, lui aussi. Ils sont pas les seuls à blâmer… Mais ils sont LOOOIIIINNN d'être tout blancs… si on pouvais juste… se débarrasser d'eux… un problème en moins…

Ce qui s'apparentait à une racaille violente classique commençait à devenir beaucoup plus terrifiant. Cet elfe était manifestement dérangé. Mais, avait-il entièrement tord ? Des choses étranges se passaient en ville, en effet. Malheureusement, ça entraînait des retombées indésirables dénuées de sens. Une chasse aux sorcières ? Ce n'était pas la première fois que ça arrivait, au fait. L'auteur des catastrophes météorologiques était toujours recherché. Mais maintenant, on se retrouvait avec des bandes organisées remplies de tarés qui s'attaquaient à leur bouc-émissaires. Une vraie folie collective.

Ces trois caïds commençaient sérieusement à taper sur les nerfs de la jeune fille. Cet homme était un vampire, et alors ? Est-ce qu'ils l'avaient vu faire quelque chose ? Elle non plus n'avait pas de preuve pour ou contre, mais pour elle, c'était de l'agression gratuite, pure et dure. Et puis, à y regarder de plus près -ou de loin plutôt-, son visage commençait vraiment à lui parler de plus en plus. Plus elle regardait Vincent et plus il lui rappelait quelqu'un ... Mais oui, c'était forcément lui ...

Pour le moment, elle retourna sa tête vers l'elfe qu'elle maitrisait au sol lorsqu'il reprit la parole. Ce fut alors à son tour de monter le volume sonore de sa voix.

Crystal: ET DONC VOUS PENSEZ VRAIMENT QUE TOUS CES PROBLÈMES EN VILLE VIENNENT DES VAMPIRES UNIQUEMENT ?! MAIS VOUS RÉFLÉCHISSEZ UN PEU OUI ?! ET LE CHAT ALORS ? C'ÉTAIT COMPLÈTEMENT GRATUIT DE LE BUTER ?! C'EST TELLEMENT FACILE DE BLÂMER DES PERSONNES JUSTE PARCE QU'ELLES ONT UNE MAUVAISE RÉPUTATION !

Elle tenta de se calmer un peu pour ne pas céder à un énervement plus profond. Elle respira un grand coup et fixa l'elfe dans les yeux, prenant un ton beaucoup plus sérieux en repensant à la réflexion qu'elle s'était faite il y a quelques secondes.

Crystal: Ah, et au fait. Vous savez que l'antisémitisme est puni de 45 000$ d'amende et d'un an d'emprisonnement ? Juste comme ça hein, vous pourrez pas dire qu'on vous a pas prévenus.

Avec les petites minutes qui étaient passées et les hautes voix qui résonnaient tout près de lui, Vincent commença à reprendre ses esprits petit à petit. Mais la douleur sur son bras était si intense qu'il n'arrivait pas bien à se concentrer entièrement sur ce qu'il se racontait, bien qu'il avait sa petite idée.

L'elfe commençait sérieusement à s'énerver et à devenir complètement timbré. Cette gamine ne comprenait pas… elle ne pouvait pas comprendre ! Lorsqu'il voulu répliquer, toujours agressivement, il fut soudainement interrompu par la révélation de Crystal. Une révélation qui le glaça d'épouvante, lui et les siens.

Elfe: … ATTEND… il n'arrivait plus à trouver ses mots.

Assaillant #2: I—Il est juif ?!

Bien que tous les agresseurs commencèrent à prendre leur distance et à calmer leurs ardeurs, Vincent soupira. Il n'avait jamais réellement apprécier que ce détail soit découvert, n'étant pas spécialement pratiquant, mais si ça pouvait lui sauver la vie… pourquoi pas ?

L'elfe et sa bande regardèrent Crystal sans voix, stressés et commençant même à trembler.

Crystal plissa les yeux. Elle ne savait pas pourquoi, mais instinctivement, elle savait que dire ça aurait eu de l'effet. Elle commençait à en avoir assez de cette histoire et s'ils pouvaient dégager genre, là maintenant, ce serait bien. Mais en attendant, elle ferait tout pour défendre son collègue qu'elle avait reconnu il y a quelques instants.

Crystal: Je ne m'en suis rendue compte que maintenant et je ne l'avais pas reconnu de loin. Mais il s'agit de mon collègue. Collègue et ami. Alors je peux vous dire que ça me met encore plus en rogne. Donc si vous comptez encore rester ici à foutre la merde, c'est par moi qu'il faudra passer. Elle saisit l'elfe au sol par le col et rapprocha son visage énervé vers le sien en fronçant les sourcils. Est-ce que j'ai été claire ?

La jeune fille aurait sûrement des excuses à apporter au vampire plus tard pour avoir lâché une phrase comme ça, mais elle trouvait ça astucieux de l'avoir fait. Malgré ça ... de la peur ? Est-ce que cette bande de bons à rien tremblaient de peur ?